Où sont les Alyscamps
Quand j’ai rencontré Lucien, ses difficultés respiratoires avaient pris le dessus. Il leur résistait, mais cette résistance l’épuisait. Je lui fis ma première visite à la fin d’un été dont il avait pensé ne pas venir à bout. Il comptait à présent sur le peu de fraîcheur qui tardait à venir. La nuit surtout, il lui fallait se lever et marcher lentement, traînant le pied et toussant, comme un spectre. Il montait sur les toits en terrasses du bâtiment où se trouvait le petit appartement qu’il habitait. Une construction de béton brut, signée par l’un des noms les plus prestigieux de l’architecture contemporaine, que la commune réservait aux ouvriers et aux artistes. Une pièce lui servait d'atelier, mais il y avait plusieurs années déjà qu'il ne peignait plus. Il circulait de l’un à l’autre de ces jardins, les pieds nus, entre les roseaux plantés dans des bacs, glissant le long de baies restées ouvertes. Sur des matelas posés à même le sol dormaient de petits groupes de parents et d'enfants réunis. Il ne manquait pas d’adresser un signe de la main à ceux qu’il réveillait et qui se rendormaient aussitôt qu’ils l’avaient reconnu, un sourire aux lèvres. Il parvenait ainsi à la proue du navire architectural depuis laquelle il pouvait voir luire le fleuve où glissaient des barques à voiles latines et ployer sous la lune les roseaux qui le bordent. Et là, enfin, il allumait une cigarette.
Commentaires
Merci pour ce moment hors du temps et de l'espace...