S'ils viennent, ne tardez pas
À l'aube il extrait le livre d'une pile, il l'époussète et le remet au visiteur. L'Américain y jette un coup d'œil. L'illustration de couverture montre l'officier allemand couché dans son lit. Il souffre, agonise, tandis que l'infirmière outrageusement sexy fait mine de panser une blessure béante au haut de sa cuisse. Il dit:
- Vous n'imaginez pas comme vous me simplifiez la vie.
- Je crois deviner.
- Bon, eh bien, avant que nous partions, ce livre a un prix.
Sa veste est restée suspendue au dossier d'une chaise. Il en retire, d'une poche intérieure, une grosse enveloppe qu'il remet au bouquiniste. Celui-ci la garde dans ses mains sans oser l'ouvrir. Le visiteur explique:
- Vous trouverez dans cette enveloppe un billet d'avion pour Key-West. Un aller simple. Un studio est réservé là-bas à votre nom, avec un petit balcon sur le port de pèche. Les apéritifs, à la tombée du jour, sont délicieux. Vous n'aurez pas à vous soucier du loyer. L'appartement nous appartient. En outre, l'Agence vous a ouvert un compte bancaire suffisant pour vous fournir en boites de conserve le reste de vos jours, et quelquefois en langoustes. Le vin rouge vous découragera peut-être, mais vous saurez vous rabattre sur la bière... Ne tardez pas ! Si nous vous avons trouvé, c'est que les autres peuvent vous trouver aussi. Et ils ne vous feront pas de cadeau.
Le bouquiniste baisse la tête, il est ému et remercie. Déjà les visiteurs sont partis. Le vieil homme se tient à la fenêtre. Il les voit qui montent dans la voiture, celle-ci démarre, mais très vite elle s'arrête et revient en marche-arrière.
Le bouquiniste est descendu. Il ne saurait dire quel espoir ou quelle crainte l'a poussé à descendre si vite les cinq étages sans ascenseur, mais il l'a fait. Le visiteur se trouve à l'attendre devant l'entrée de l'immeuble. Il dit:
- Vous ne comptez pas partir?
- Je ne parle pas anglais. Tous mes livres sont ici.
- Alors, prenez ceci.
Il ouvre la main et lui montre une petite boite en fer. Il l'ouvre. À l'intérieur, une capsule de cyanure. Il dit:
- S'ils viennent, ne tardez pas.
Le bouquiniste remercie et remonte chez lui. Six mois plus tard on le trouve assis, le front posé sur son bureau. Il est mort. Derrière lui, les livres ont été pris dans un maelström. Mais il semble ignorer ce désordre, et l'autopsie montrera qu'il n'a eu à souffrir d'aucune violence hors celle, rapide, du poison.
+ Dans La rivière souterraine
- Vous n'imaginez pas comme vous me simplifiez la vie.
- Je crois deviner.
- Bon, eh bien, avant que nous partions, ce livre a un prix.
Sa veste est restée suspendue au dossier d'une chaise. Il en retire, d'une poche intérieure, une grosse enveloppe qu'il remet au bouquiniste. Celui-ci la garde dans ses mains sans oser l'ouvrir. Le visiteur explique:
- Vous trouverez dans cette enveloppe un billet d'avion pour Key-West. Un aller simple. Un studio est réservé là-bas à votre nom, avec un petit balcon sur le port de pèche. Les apéritifs, à la tombée du jour, sont délicieux. Vous n'aurez pas à vous soucier du loyer. L'appartement nous appartient. En outre, l'Agence vous a ouvert un compte bancaire suffisant pour vous fournir en boites de conserve le reste de vos jours, et quelquefois en langoustes. Le vin rouge vous découragera peut-être, mais vous saurez vous rabattre sur la bière... Ne tardez pas ! Si nous vous avons trouvé, c'est que les autres peuvent vous trouver aussi. Et ils ne vous feront pas de cadeau.
Le bouquiniste baisse la tête, il est ému et remercie. Déjà les visiteurs sont partis. Le vieil homme se tient à la fenêtre. Il les voit qui montent dans la voiture, celle-ci démarre, mais très vite elle s'arrête et revient en marche-arrière.
Le bouquiniste est descendu. Il ne saurait dire quel espoir ou quelle crainte l'a poussé à descendre si vite les cinq étages sans ascenseur, mais il l'a fait. Le visiteur se trouve à l'attendre devant l'entrée de l'immeuble. Il dit:
- Vous ne comptez pas partir?
- Je ne parle pas anglais. Tous mes livres sont ici.
- Alors, prenez ceci.
Il ouvre la main et lui montre une petite boite en fer. Il l'ouvre. À l'intérieur, une capsule de cyanure. Il dit:
- S'ils viennent, ne tardez pas.
Le bouquiniste remercie et remonte chez lui. Six mois plus tard on le trouve assis, le front posé sur son bureau. Il est mort. Derrière lui, les livres ont été pris dans un maelström. Mais il semble ignorer ce désordre, et l'autopsie montrera qu'il n'a eu à souffrir d'aucune violence hors celle, rapide, du poison.
+ Dans La rivière souterraine
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