Les années d'exil
Très tôt, Nolan doit se cacher et son itinéraire se reconstitue après-coup, lorsqu’on a définitivement perdu sa trace. Il trouve accueil dans des villes différentes. Une voiture vient le chercher à la gare et le conduit dans le faubourg où un logement de deux pièces a été préparé. Il demeure dans ces lieux inconnus quelques semaines ou parfois des années. Même en y demeurant longtemps, il ne s’habitue pas aux villes qu’il habite, dans la mesure où les règles de sécurité veulent qu’il quitte le moins souvent possible le quartier qui lui a été désigné. Il le fait néanmoins. À la fin, la curiosité l’emporte. Ou l’ennui. Les dimanches surtout. On voudrait en savoir davantage sur ses habitudes, sur le rôle qu’il a pu réellement jouer dans l’organisation, au gré des différentes scissions qui ont scandé son histoire pour la réduire en fin de compte à presque rien, mais sans doute ce rôle a-t-il été différent selon les villes et les moments de sa vie. Nolan est-il considéré par ses amis et ses ennemis comme un personnage aussi important quand il dépasse la quarantaine, qu’il ne l’était quinze ans plus tôt, quand l’attentat a été commis et que toutes les polices d’Europe se sont mises à sa recherche ? On sait qu’il publie au moins deux livres sous des pseudonymes différents. Nous en reparlerons. On sait qu’il lui arrive d’exercer des activités professionnelles. Les mieux attestées sont celles de professeur de linguistique et de peintre en bâtiment. Sa période marseillaise est sans doute la mieux documentée. Il demeurait alors dans le quartier de Notre-Dame-du-Mont, on cite une rue et même un numéro de rue. Valentine Forman prétend l’y avoir rencontré pour réaliser l’entretien publié ensuite en Allemagne et qui devait donner lieu à une adaptation théâtrale puis au ballet désormais célèbre de Pina Bausch. D’autres prétendent que les échanges se sont faits par lettres. Valentine Forman parle d’un dimanche après-midi passé en sa compagnie au Parc Borély. On ne sait pas s’il faut la croire. Je me suis promené dans les mêmes allées, un autre dimanche après-midi, en compagnie de ma femme. Nous étions venus sur ses traces. Nous parlions d’eux. Valentine Forman ne le dit pas clairement mais on peut raisonnablement supposer qu’à la nuit tombée elle rentre avec lui dans le petit logement où il lui prépare à dîner, du boudin et des panisses mis à frire dans son unique poêle, tandis qu’elle relit ses notes. Puis ils écoutent de la musique en fumant des cigarettes, la fenêtre ouverte sur la rue. C’était l’été. Il finissent la bouteille de vin rouge. Elle lui demande de lui lire un poème. Il choisit quelques vers de Dante puis une page entière d’une nouvelle de Jorge Luis Borges. Nous logions alors au Mama Shelter de la rue de la Loubière. Nous y sommes revenus à pied.
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