Les févettes
Ils sont trois ou quatre garçons sur le balcon, assis autour d’une table de marbre, comme on en voyait dans les bistrots. Ils portent des tricots de corps blancs et sont occupés à manger des févettes dont ils ouvrent les cosses avec les doigts. Ils vont les chercher en plongeant la main dans un panier rapporté du marché. Celui-ci prend beaucoup de place, et les cosses évidées, d’un vert plus pâle à l’intérieur, envahissent la table, si bien qu’ils ont du mal à y poser un coude sans en faire tomber sur le sol, où un chien silencieux semble attendre que lui échoie autre chose de plus comestible. Sur la table, il y a aussi un pain, des oignons, un bouteille de vin rouge et des verres, un ravier de poivrons rouges dont les filets trempent dans l’huile d’olive, et un énorme morceau de parmesan dont chacun coupe des tranches à l’aide du même Opinel. Le parmesan accompagne les fèves, et par-dessus une gorgée de vin rouge. Le ciel n’est pas bleu, plutôt à la pluie, et derrière le groupe on ne voit pas la campagne mais des façades de H.L.M.. Et à l’intérieur de la pièce qui ouvre sur ce balcon, on sait qu’il y a le reste de la famille, les femmes et les enfants qui font un repas plus complet (un poulet rôti et une omelette de pommes de terre, ou alors une marmite de spaghetti en sauce tomate avec des boulettes), tandis que les garçons ont voulu se contenter des févettes en mémoire de leur père dont ils ont conduit la dépouille au cimetière. Et, dans une autre pièce, où ils iront tout à l’heure boire le café et fumer des cigarettes, il y a des archives qu’ils se sont promis de dépouiller ensemble. Oh, rien de bien extraordinaire, seulement des coupures de presse, quelques photos en noir et blanc et de rares rapports dactylographiés, que leur père à pu sauver, relatifs aux affaires dans lesquelles il a eu à intervenir, puisqu’il était de la police, et fier de l’être.
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