À propos de The Gost Writter
Revu The Gost Writter de Roman Polanski, un film que j’avais vu au cinéma, à sa sortie en 2010, puis que j’avais revu à la télévision je ne sais plus quand, et que j’ai visionné hier soir sur ma tablette avec toujours autant de plaisir et d’intérêt. J’essaie de dire en quoi cette œuvre me paraît exemplaire de l’art cinématographique.
Je précise tout d’abord que, chaque fois que je vois ce film ou que son souvenir me traverse l’esprit, je songe aussi à John Huston. Que le nom de Huston s’associe pour moi à celui de Polanski, rien de plus naturel puisque Huston fait l’acteur dans Chinatown qui date, lui, de 1974, c’est-à-dire cinq ans après l’assassinat de Sharon Tate, la femme de Polanski, et deux ans avant que lui-même soit inculpé, toujours aux USA, pour abus sexuel sur mineur, une affaire qui marquera, on le sait, la fin de sa carrière hollywoodienne. Mais pourquoi Huston à propos, tout particulièrement, de The Gost Writter ? Justement parce que ce film, qui a valu à son réalisateur de nombreuses récompenses internationales, me semble posséder le charme du cinéma hollywoodien le plus pur, tel que l’illustrait notamment John Huston.
Or, en quoi consiste ce charme particulier du cinéma hollywoodien, qu’on retrouve si joliment intact dans The Gost Writter, et qui le distingue du cinéma d'auteur tel qu'il était défendu et illustré chez nous par la Nouvelle vague ? Ma réponse est qu’on y rencontre un feuilletage créatif très distinct, et qu’il est permis de voir dans ce feuilletage l’essence de l’art cinématographique lui-même.
Les films ajoutent des romans aux romans contenus dans les livres. Ce sont eux-mêmes des romans. Mais qu’apportent-ils de neuf à l’art de raconter ? On pense d’abord à l’image, bien sûr. Les films sont des romans visuels. Ils apportent au roman la force des images. Et, dans The Gost Writter, les images sont très belles. Mais je ne suis pas sûr que ce soit là l’essentiel. Les romans littéraires contiennent eux aussi des images, très belles parfois, qu’on regarde avec les yeux de l’esprit. Jules Verne m'apparaît ainsi comme un magnifique inventeur d'images romanesques, que l'action de ses histoires se situe sous la terre (comme dans Les Indes noires), ou sous la mer (comme dans Vingt mille lieues sous les mers), dans forêt ou dans le ciel encore.
Non, ce que les films apportent de plus neuf, de plus radical, il me semble que c’est plutôt un feuilletage de l’acte créatif, que le roman n’ignore pas mais qui s’y trouve trop souvent éludé.
Pour faire un bon film hollywoodien, il faut d’abord une bonne histoire, qu’on va le plus souvent chercher dans des romans déjà publiés, et qui indique l’ordre dans lequel les événements imaginaires se sont produits. Il faut ensuite un bon scénario, qui indiquera l’ordre dans lequel ces événements seront racontés, un ordre qui peut être très différent de celui dans lequel ils se sont produits. Et il faut enfin un réalisateur qui mette cela en images (ou en scène). À quoi s’ajouteront encore le choix des acteurs, le choix des décors, celui des costumes et bien sûr la musique.
Or, ce feuilletage n’est pas une invention du cinéma. On le rencontre aussi bien dans le roman littéraire. Il n’est pas une strate du feuilletage que j’ai décrit plus haut qui ne se retrouve dans les romans écrits. Mais la différence tient à ce que, dans le roman, c’est l’auteur qui fait tout. Il travaille seul. Tandis que le cinéma hollywoodien est un art collectif.
Les différentes strates dessinent une perspective. Elles creusent une profondeur de champ qu’on voit se dessiner dans les grands romans classiques du dix-neuvième siècle (par exemple, chez les sœurs Brontë), et qui se retrouve aujourd’hui dans la meilleure littérature de genre (chez Stephen King, chez Jo Nesbø), mais qu’on retrouve de moins en moins dans les romans sérieux. Et peut-être est-ce la raison pour laquelle ces romans sérieux sont de moins en moins adaptés à notre temps. Un temps où l’art de raconter est marqué et dominé par le cinéma.
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