L’infirmière du couvent (3)

La nuit se passera ainsi... Les visiteurs sont assis sur des chaises inconfortables et ils lisent ce qui leur tombe sous la main. Quelquefois, ce sont des bandes dessinées qui les font rire comme des enfants, d'autres fois ils sont graves, d'autres fois encore ils somnolent et la cigarette qu'ils fument roule sur le sol. Pendant ce temps, le bouquiniste poursuit ses recherches. Il disparaît de longs moments dans d'autres pièces. On le voit grimper en haut d’une échelle, on le voit ramper à plat ventre pour fouiller dans les rayons les plus bas, où la poussière le fait éternuer, puis, en s’époussetant, il revient consulter son ordinateur hors d'âge, et il ose enfin une question : 
— Savez-vous pour quelle raison ce livre est important ?
C'est toujours le même visiteur qui répond, celui qui a raconté l’histoire de l’infirmière. L’autre pendant ce temps regarde, écoute et semble attendre le moment d'entrer en action avec des tenailles, une scie à métaux, une perceuse électrique, pour le faire parler. Donc le premier dit : 
— Nous l’ignorons. Nos experts de l’Agence, eux, le savent. Notre rôle consiste à le ramener à tout prix. C’est notre job, voyez-vous ? Ne m’en demandez pas davantage.
Le bouquiniste feint toujours d’ignorer la menace. Il poursuit son idée. Il dit :
— Nous devons imaginer que le carnet existe bel et bien, et que le livre que vous cherchez mentionne le nom de la chapelle où il a été déposé… 
Ici, un silence. Le bouquiniste réfléchit, il hésite. Son interlocuteur ne l’aide pas. 
— Et que, peut-être, ajoute Venturi, après tant d’années, il s’y trouve encore...
Le visiteur acquiesce, et c’est lui maintenant qui enchaîne. Il dit :
— Et le personnage de cette infirmière libertine, faut-il croire qu’il ait existé ? Si ce n’est pas le cas, s’il n’existe aucune infirmière libertine qui soit devenue contessa en vendant le carnet à certaines autorités vaticanes qui se seraient compromises dans des actes de collaboration, alors, oui, le carnet peut se trouver toujours à sa place dans le tabernacle, et du coup notre mission prendrait un sens, puisqu’il s’agirait, grâce à vous, de le récupérer.
Venturi ne répond pas. Il s'éloigne. Il fait trois pas dans le couloir puis il revient. La tête baissée, il marmonne : 
 — Rome compte des dizaines, voire des centaines d'églises et de chapelles désaffectées. On n'y dit plus la messe, elles sont fermées. Et si le calepin a été déposé dans le tabernacle de l'une d'entre elles, alors, oui, il peut y être encore.

À un moment de la nuit, ils ouvrent des boîtes de conserve et une bouteille de vin. Ils mangent des maquereaux et des sardines sur des tranches de pain. Le bouquiniste ajoute à ce régal un bocal de cornichons. Plus tard encore, il fera cuire des œufs et du jambon dans une poêle. L'infirmière du couvent semble oubliée. Se peut-il qu’elle soit réellement oubliée ? Qu’au matin, les deux Américains repartent sans elle ? Le bouquiniste ne le croit pas, et comme il ne veut pas mourir, alors il continue de raisonner. Tant qu’il raisonnera et qu’il fera raisonner ses bourreaux, il restera en vie. Il pense à la petite chèvre de Monsieur Seguin. Il sait que, comme elle, peut tenir ainsi jusqu’au matin. Il dit :
— Ou peut-être devons-nous prendre les choses à l’envers, peut-être pouvons-nous imaginer que votre Agence possède déjà le livre, que vos experts l’ont déjà lu, qu’ils en savent la valeur, qu’ils n’ont plus rien à apprendre de lui, pas la moindre information, mais qu’ils veulent à tout prix éviter que la partie adverse, à son tour, s’en empare, ce qui signifierait qu'il faut à tout prix localiser et détruire les autres exemplaires qui sont susceptibles de dormir sur les étagères de vieux bouquinistes comme moi. Et qui dit que, d’après leurs calculs, le mien ne serait pas le dernier?

Le visiteur le regarde, plisse les yeux et sourit :
— On m'avait dit que les bouquinistes français étaient tous des ivrognes… 
 Venturi lui répond :
— On ne vous a pas menti. Surtout les italo-français qui vivent, comme moi, près de la frontière belge… Mais le vin rouge n’empêche pas de raisonner.
Le visiteur acquiesce :
— Votre hypothèse me paraît la plus probable. Il faut que nos analystes aient eu le livre entre les mains pour évaluer l'importance des informations qu'il contient, et nous envoyer ici, auprès de vous… 
Le bouquiniste l’interrompt :
— De quand date la dernière visite d'un pape aux États-Unis ?
Le visage de son interlocuteur s’illumine. Il dit :
— Je revois des images à la télévision. Elles sont déjà anciennes. Vous voulez dire qu’une prochaine visite serait prévue ? Qu’elle serait en préparation ? Et que nous aurions pour mission, en quelque sorte, de déblayer le terrain ?
Cette fois, son comparse se réveille. Il l’interrompt :
— Je crois qu’il ne fait de mystère pour personne que la plus haute administration vaticane est infiltrée par la Mafia. Peut-être, sans le savoir, sommes-nous engagés, mon camarade et moi, à défendre le Saint Siège et, à travers lui, la Présence réelle…

À suivre…



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