Un père venu d’Amérique (8)

— Allo, Quentin ?
— Oui, Coline.
— J’envoie sur ton téléphone trois photos, tu y jettes un coup d’œil et, tout de suite après, tu m’appelles. Tu veux bien ?
/Audio/ Des semaines sont passées, plusieurs mois, sans que le miracle de la soirée où ils ont vu Mulholland Drive se reproduise. Coline a continué de l’éviter, et Quentin a continué de penser qu’elle devait avoir une histoire compliquée avec un homme ; que, dans ce cas, il ne pouvait rien pour elle, qu’il n’avait qu’à attendre que cette histoire se termine comme il était probable qu’elle se terminerait. Alors, le dialogue entre eux se renouerait. Ce serait, un beau jour, sur la terrasse du Liber’Tea, devant la caisse du BioCoop de la place Grimaldi ou dans les escaliers du Palais Longchamp. Quelques mots échangés, et ils reprendraient leurs habitudes. Il aurait de nouveau l’occasion de l’emmener à la cinémathèque et de la retenir chez lui, à leur retour, pour dîner d’un plat de spaghettis accompagnés de la sauce tomate, du poivre et du parmesan dont il va faire provision, un vendredi par mois, au marché de Vintimille, et de la retenir encore, le temps de finir la bouteille de vin rouge naturel achetée à La part des anges, en lui racontant des anecdotes désopilantes, troublantes, jamais scabreuses, à propos du film qu’ils auraient vu ensemble. Et on est arrivé maintenant au plein cœur de l’été quand, un matin, vers neuf heures, il reçoit cet appel de Coline. Et ce qui le surprend d’abord dans ce qu’elle lui dit, ce n’est pas tant l’annonce un peu abrupte des photos — après tout, pourquoi pas des photos ? sans doute Coline se trouve-t-elle à la plage avec Yvette et veut-elle la lui montrer, maigre et rose comme une crevette, entrant dans l’eau d’un pied précautionneux, équipée de brassards gonflables et avec une pince en plastique sur la tête pour lui retenir les cheveux —, mais plutôt qu’elle le tutoie, ce qui n’était jamais arrivé auparavant. Ou peut-être est-ce ce qu’il veut croire encore, en un instant où déjà il ne le croit plus. Car le ton de la jeune femme ne prêtait pas à rire. Il était glacial, sa voix tremblait. Elle avait calculé à l’avance ce qu’elle dirait, et elle aurait été incapable d’articuler trois mots de plus. Et trois minutes pour plus tard, lorsqu’il la rappelle, c’est lui qui paraît affolé. Il dit :
— Mais enfin, Coline, qu’est-ce que cela signifie ? D’où tiens-tu ces photos ?
— Je les ai reçues sur mon téléphone, il y a dix minutes à peine ?
— Qui te les as envoyées ?
— Ne crie pas, je t’en prie. C’est assez compliqué comme cela. Nous devons rester calmes. J’ignore qui m’a envoyé ces photos. Elles n’étaient accompagnées d’aucun message. 
— Et le mort ? Cet homme qu’on voit, couché par terre, tué par balles, une dans l’abdomen, l’autre en plein front, sais-tu qui c’est ?
— Je crois que oui. Nous avions rendez-vous. Je suis venue au rendez-vous. Je l’ai attendu hier soir, et encore toute la nuit. Son téléphone ne répondait pas, je ne savais pas quoi penser, et ce matin je reçois ces photos.
— Où aviez-vous rendez-vous ? D’où m’appelles-tu ? Tu n’es pas à Nice ?
— Non, à Valdeblore, dans une auberge.
— Pourquoi es-tu là-bas ?
— Je te l’ai dit. J’attendais cet homme, nous en étions convenus. Et l’autre photo, celle qui me montre, a été prise ce matin, dans la salle à manger de l’auberge où je suis.
— Tu ne sais pas qui a pu te photographier ainsi, sans doute avec son téléphone ?
— Deux hommes sont arrivés hier soir, à l’heure où j’attendais ce monsieur, et ils sont encore là ce matin. Ils ne se cachent pas. Ils me font peur.
— Nous devons prévenir la police. Qui était cet homme que tu attendais ? Tu connais son nom, son numéro de téléphone ?
— Oui, mais jusqu’à présent, nous n’avions communiqué que par écrans interposés.
— Vous vous êtes choisis… Pardonne-moi, je ne sais pas comment dire… Vous avez pris contact sur un site de rencontre ?
— Pas du tout. Je ne sais pas ce que tu imagines. Cet homme n’était pas censé devenir mon amant. Tu as vu comme il est vieux ? Il m’a appelé un jour, il y a plusieurs mois maintenant, pour me dire qu’il était mon père.
— Ton père ? Et tu l’as cru ?
— Il m’a demandé d’envoyer un échantillon de salive à un laboratoire. Il a fait de même de son côté. Les résultats des tests ADN ont matché, je veux dire qu’ils ne laissaient aucun doute. Mais maintenant, je n’ose plus sortir de ma chambre. Je suis sûre que ces deux hommes sont toujours là. Peut-être n’ont-ils rien à voir avec le meurtre, rien à voir avec nous, mais j’ai peur.
— Je comprends. Ne fais rien, n’ouvre à personne. J’arrive.



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