Un père venu d’Amérique (4)

Je reconstitue les événements après coup. Jérémie m’a présenté Quentin Laszlo lors de la soirée d’ouverture de la semaine qu’il avait organisée au cinéma Pathé de la Gare du Sud. Cela se passait au mois de mai. Il a dit alors, avec un grand sourire : “Monsieur Laszlo, je vous présente mon ami Paul Sorrenti”, puis il a ajouté : “Mon cher Paul, je te présente Quentin Laszlo, dont je t’ai beaucoup parlé, le meilleur spécialiste de Nicholas Ray, qui s’apprête à nous offrir quelques clés indispensables pour la lecture de Rebel Without a Cause.” Mais, en réalité, jusqu’alors, il ne m’avait jamais parlé de lui, il n’avait même jamais prononcé son nom, et moins encore celui de Coline Simonet, et moins encore celui de la petite Yvette. Mais l’événement dramatique qui devait se produire dans l’été, qui nous a amené à nouer une relation étroite et durable avec ces trois personnages, ne peut pas se comprendre sans ce préambule du printemps, dont je me propose de rendre compte d’après leurs récits.
Jérémie rencontre donc Quentin pour la première fois au mois de mars, un mercredi. Le soir du vendredi suivant, Coline donne une fête chez elle. Quentin en entend le bruit au-dessus de sa tête. Il pourrait compter les bouchons de champagne. Il semble que les bouchons de champagne qui sautent aient le pouvoir de déclancher les cris et les rires. Il ne proteste pas, mais impossible de lire, ni d’écouter de la musique. Il se console en regardant un match de football sur son poste de télévision. Une sorte de traitement par hypnose. Puis, vers onze heures, son téléphone sonne. C’est Coline qui parle au nom de la petite Yvette. Elle explique que celle-ci est malheureuse, un peu effrayée et veut savoir si son ami Quentin accepterait qu’elle vienne dormir chez lui. Quentin accepte et, cinq minutes plus tard, Coline se présente à sa porte avec Yvette dans ses bras. Douce et molle comme une poupée de chiffon, celle-ci passe des bras de l’une à ceux de l’autre.
— C’est gentil à vous, Quentin, vous êtes un amour. Demain, dès que je me réveille, je vous appelle.
Quentin hoche la tête. Il aurait des remarques à faire concernant l’état d’exaltation dans lequel il trouve Coline, il se demande de quel produit elle abuse en plus de l’alccol, mais il s’abstient de rien dire. Il emmène Yvette se coucher dans son lit. Quant à lui, il s’installe dans un fauteuil, près d’elle. Il lit sur son téléphone portable quelques pages d’un mauvais thriller nordique. Et la fillette ne tarde pas à s’endormir.
Le lendemain matin, Yvette mange des céréales en regardant des dessins animés, et comme à dix heures Coline n’a toujours pas appelé, Quentin emmène la fillette se dégourdir les jambes. Ils vont faire quelques achats au BioCoop de la place Grimaldi, où Quentin a ses habitudes. Ils optent ensuite pour le Parc Jean Moreno, qui se trouve derrière l’American Church du boulevard Victor Hugo. L’enfant s’y amuse à des manèges et des toboggans tandis que Quentin lit un journal. Ils rentrent ensuite préparer ensemble le repas de midi. Ils jouent au Mikado, ils nettoient les vitres, ils passent l’aspirateur, ils s’occupent ainsi jusqu’au milieu de l’après-midi où Coline finit par les rejoindre. Elle a les yeux cernés et visiblement très mal à la tête. Elle caresse la main d’Yvette mais évite son regard. Elle ne paraît pas pressée de remonter chez elle avec l’enfant. Quentin n’a pas de mal à imaginer à quoi peut ressembler son salon. Et sa chambre. Il propose d’aller marcher, tous les trois, sur la Promenade des Anglais. Coline s’accroche à son bras. Elle respire à pleins poumons l’air de la mer et dit : “C’est comme de renaître”. Le soir descend. Yvette regarde les mouettes. À leur retour. Quentin leur propose encore un plat de spaghettis à la sauce tomate. Et puis, Yvette a-t-elle jamais vu Les 101 Dalmatiens dans sa version première, produite par les ateliers Disney ? Bien sûr que non, une antiquité de 1961, dont Quentin garde par chance une copie. La fillette applaudit d’abord au charme des dessins et à la prolifération des chiots, puis elle s’endort devant la table basse où ils l’ont assise entre leurs jambes. Quentin la prend dans ses bras, il la porte dans l’escalier où il suit Coline, jusqu’à l’étage au-dessus. Celle-ci enfin ouvre sa porte et récupère sa fille. 
— Merci Quentin. Merci pour tout.
Et il les quitte. 

 

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