Réponse à Élisabeth Roudinesco à propos de Philippe Sollers

Élisabeth Roudinesco publie sur son compte Facebook un éloge amical de Philippe Sollers, dont deux phrases qu’il contient me tracassent depuis que je l’ai lu. Elles disent ceci : “On l’accusé de tout : opportunisme, fumisterie, reniements. Ce n’était pas cela : les changements de cap témoignaient chez lui d’une certaine fidélité à l’idée qu’il se faisait de la nécessité permanente des transgressions.” 

L’argument qui m’a gêné d’abord est celui concernant la “nécessité permanente des transgressions”. On voit bien que, face aux changements de cap évoqués, cet argument ne convient pas, qu’il ne fait pas le poids. Si l’on peut admettre que, pour un artiste, comme pour tout esprit libre, il peut exister quelque chose comme une nécessité permanente des transgressions, celle-ci ne peut suffire à justifier quoi que ce soit. La transgression est le fait ordinaire des criminels, des tyrans, des voleurs et des menteurs, pour autant on ne songe pas à la mettre à leur crédit.

Verlaine et Rimbaud, eux aussi, ont beaucoup transgressé. Mais, par chance, ils n’ont pas eu à cautionner un totalitarisme sanguinaire qui a fait des millions de victimes. Et puis, au prix de leurs errements personnels, ils ont produit une œuvre, chacun la sienne, qui est aujourd’hui universellement admirée. Est-ce bien le cas de Philippe Sollers? On voudrait le penser. Mais il me paraît un peu tôt pour le dire. 

Et puis, on voit apparaître dans ces deux phrases un thème qui revient sans cesse à propos de ceux qui ont adopté, à un moment ou un autre de leur vie, le parti pris radical du communisme : celui de la fidélité. Est-il vraiment indispensable de dire (et de penser) que Philippe Sollers serait resté fidèle à quoi que ce soit? Cela a-t-il vraiment un sens?

Quand Philippe Sollers a pris les positions qu’il a prises, le monde était autre, et lui aussi. Beaucoup de gens ont cru au communisme, et puis, devant la réalité des faits, un jour ils n’y ont plus cru. Ils n’en ont pas fait une affaire. Ils n’ont pas dit qu’ils ont eu raison de se tromper. Ils ont promis de ne plus s'y laisser prendre. Ils ont décidé de se montrer plus prudents, à l’avenir. D’un peu moins croire, d’un peu moins espérer dans ce qui ne leur appartient pas, dans ce sur quoi ils n’ont aucune prise. Ils se sont résolus à parler un peu moins fort, désormais. De leurs erreurs, ils ont voulu tirer la leçon.

Et d’ailleurs, de quel point de vue nous plaçons-nous, nous autres, aujourd’hui, pour dire qu’ils se sont trompés? Le fait est qu’ils n’ont pas deviné ce que l’avenir leur réservait d’apprendre. D’autres l’ont pu, nous devons les en féliciter. Mais ces autres, n’étaient pas eux. N’étaient pas nous. Ils n’avaient pas les mêmes informations, ils n’avaient pas le même désir d’y croire.

Je parle là de gens simples. Ceux qu’on appelait les militants de base. Eux, par la suite, se sont excusés. Ils ont eu cette modestie, cette courtoisie des gens simples. Tout porte à croire que Philippe Sollers était mieux placé pour savoir. Il a même fait un voyage dans la Chine maoïste de la Révolution culturelle, en réponse à une invitation très officielle des représentants du régime. Il y a même entraîné le pauvre Roland Barthes qui n’a su que dire à son retour. Et cela ne l’a pas empêché de continuer de parler avec toujours le même sourire satisfait de lui-même, la même morgue.

Les erreurs des intellectuels riches et célèbres ne sont pas plus excusables que celles des autres. Elles le sont moins.

Il lui est arrivé souvent, par la suite, de dire des choses très justes et très utiles, quand il passait à la télévision. Et il y passait souvent. Mais pas toujours. Et de simples excuses, un ton plus bas, auraient mieux fait notre affaire. L’écrivain applaudi, l’éditeur respecté, qui jouissait au siège de Gallimard d’un bureau permanent, dont il se plaisait à déclarer qu’il était unique au monde, aurait montré en cela un peu plus de gentillesse envers les autres.

Voilà, j’espère qu’Élisabeth Roudinesco ne prendra pas à mal cette note, si par hasard elle la lit. De mon côté, je me suis promis de relire Paradis.
 

Commentaires

Articles les plus consultés